Libération de Cravanche

Histoire de la Libération de Cravanche par les Commandos d’Afrique le 20 novembre 1944

A la veille du 60e anniversaire de la libération de Cravanche, nous avons essayé de faire une synthèse des événements du 20 novembre 1944. Pour bien mesurer la portée des actions engagées durant cette journée, nous avons tenu à rappeler les opérations des jours précédents. Au travers de cet article nous voulons renouveler notre reconnaissance aux nombreux acteurs de cette période exceptionnelle de notre histoire. Les noms que nous avons pu citer dans cet article sont par la force des choses, limitatifs.

Les informations sont tirées de livres de l’histoire régionale, de brochures spécialisées publiées par la presse locale à l’occasion des anniversaires passés et aussi de souvenirs racontés par ceux qui ont vécu, au siècle dernier, ces événements majeurs de l’histoire de notre village et du Territoire de Belfort.

Place des Commandos d’Afrique dans la 1ère Armée Française.

L’histoire de la libération de Cravanche et de Belfort s’inscrit dans la grande épopée de la 1eArmée française de 1944 à 1945. Cette armée est composée d’hommes et de femmes venus d’Afrique du Nord et mobilisés à Alger. La 1èreArmée est placée sous le commandement du général De LATTRE de TASSIGNY.

Le 16 août 1944 les premiers éléments de la 1ère Armée débarquent sur les plages de Provence.

La 1ère Armée comprend onze divisions dont la 1eDFL ( Division des Forces Françaises Libres qui deviendra la 1eDMI ), la 2eDIM (Division d’Infanterie Marocaine), la 1ère, 2e et 5eDB. Elle comprend aussi des éléments de réserve générale, tout particulièrement les Commandos d’Afrique, le Bataillon de Choc et les Commandos de France.

Après avoir libéré Toulon, la 1èreArmée fonce vers Lyon puis Dijon ; Besançon est libérée le 7 septembre. Cette poursuite de trois semaines s’arrêtera entre Lure et la Suisse au pied des Vosges.

Situation dans le Nord Franche-Comté début novembre 1944

A partir du 16 septembre, date à laquelle Lure est libérée, la résistance allemande se raidit en Haute-Saône. Au prix de lourdes pertes la 1ère DFL atteint Ronchamp le 2 octobre. Mais les Français restent toujours bloqués sur une ligne de front depuis le sud des Vosges jusqu’à la frontière suisse.

De GAULLE et CHURCHILL se rencontrent à Maîche le 13 novembre.

Le 14 novembre la 1eArmée repart à l’attaque. Le 17 novembre, elle libère Héricourt et Montbéliard avec l’aide des résistants qui sauvent les ponts. Elle parvient aussi, renforcée par des chars de la 1ère DB, à ouvrir une brèche dans le dispositif allemand à Hérimoncourt.

De LATTRE déplace son échelon tactique de Besançon à Montbéliard.

Verrou de la trouée de Belfort

Il s’agit maintenant pour De LATTRE d’exploiter la rupture du front allemand pour libérer la trouée de Belfort et la Haute Alsace avant l’hiver 1944-1945 et de faire la jonction avec la 2ème DB du général LECLERC qui fait route par la trouée de Saverne vers Strasbourg. De LATTRE prévoit de prendre en tenaille les troupes allemandes qui défendent la trouée de Belfort.

Au nord, le 2ème Corps d’Armée du général de MONTSABERT et plus particulièrement la 1ère DFL avec le général BROSSET a pour objectif le Ballon d’Alsace, Giromagny et Rougemont. Les troupes françaises de ce secteur piétinent depuis le mois de septembre, au pied du col de la Chevestraye entre Fresse et Plancher-les Mines.

Au sud, le 1er Corps d’Armée du général BETHOUARD a pour objectif d’ouvrir la voie à la 5ème DB pour atteindre le plus tôt possible Mulhouse et le Rhin en longeant la frontière suisse et en passant par Delle, le Sundgau.

L’attaque centrale sur Belfort est confiée à trois groupements, le groupement SCHLESSER à l’ouest par la RN 83, le groupement d’OLEON au sud par le canal du Rhône au Rhin, le groupement CHAPPUIS au nord par le Salbert et Cravanche.

Le groupement du colonel CHAPPUIS comprend en particulier les Commandos d’Afrique et de Provence du colonel BOUVET, le Bataillon de Choc du colonel GAMBIEZ et le 4ème Régiment de Tirailleurs Marocains (4ème RTM).


Le front à l’approche de Belfort le 19 novembre 1944

Les fantassins progressent sur les routes inondées de Châlonvillars.

Plancher-les-Mines

Au nord du secteur, le général BROSSET réussit à libérer Champagney au milieu de la matinée du 19. Mais la situation se durcit dans les bois de Passavant que les Allemands ont minés. Le front s’est déplacé sur Plancher-les-Mines et Plancher-Bas.
Le général BROSSET, de retour d’une visite des avant-postes tenus par les Tirailleurs marocains, se tue au volant de sa jeep à une dizaine de mètres devant le pont sur le Rahin en crue. Son officier de liaison, l’acteur Jean-Pierre AUMONT, qui est à ses côtés dans la jeep, n’est que blessé. Le général BROSSET sera plus tard remplacé par le général GARBAY.

Châlonvillars

Le 19 novembre le groupement CHAPPUIS parvient à Châlonvillars, à la porte de Belfort. Après deux nuits de marche forcée dans la neige, le groupement  a eu toutes les peines du monde à se sortir des mille pièges accumulés dans les bois de Saulnot et à forcer, à Chagey, le passage de la Lisaine. Ce n’est qu’en fin de journée que le 4eRTM parvient à ouvrir la route aux groupes de chocs et aux commandos. Les hommes éreintés campent là, à pied d’œuvre.
Les Chocs disposent  de l’appui de quelques chars de la 2ème DB qui évitent sur leur route le fossé antichars devant Bavilliers.

Fort du Mont Vaudois

Légèrement plus au sud, le 2ème Bataillon du 8ème RTM lance, dans la journée du 19, plusieurs attaques du fort du Mont Vaudois accompagnées de violents tirs d’artillerie. Il faut attendre la nuit du 19 au 20 pour que les Allemands abandonnent le fort. L’approche de Belfort peut se poursuivre avec plus de sérénité, la menace du fort n’existe plus.

Bavilliers

Mais les Marocains du 4ème RTM n’arrivent pas à progresser au-delà de Buc. Les Allemands contrôlent tous les points d’accès qui conduisent à Bavilliers. Ils ont construit une tranchée de 1 km entre les hauteurs de Buc et Urcerey. Les Tirailleurs subissent ici de lourdes pertes.

Fort du Bois d’Oye

Le 1erCorps d’Armée qui remonte de Montbéliard atteint Allenjoie; mais il est bloqué devant l’éperon boisé du Grand Bois. Le fort du Bois d’Oye tient sous son feu la route de Montbéliard.

Morvillars

Le secteur de Morvillars reste verrouillé. Une avance jusqu’à Vellescot et Chavanattes nous coûte 30 tués, 60 blessés et 11 chars hors de combat.

Seppois

A l’est par contre, la percée des chars de la 5ème DB a réussi. A partir de Delle libérée le 18 novembre, les chars s’élancent vers l’Alsace. Seppois est le 1er village alsacien reconquis le 19 novembre. Le même jour à 18h30 les Sherman et une section du 1er Zouaves atteignent le Rhin à Rosenau (15 km au nord de St- Louis). Cependant les Allemands ne sont pas encore décidés à abandonner le Territoire de Belfort.

Plan CHAPPUIS et fossés antichars

Vu les difficultés des accès nord et sud de Belfort, la décision est confirmée d’attaquer au centre par Cravanche. Le colonel CHAPPUIS connaît bien la région ; il a commencé sa vie militaire à Belfort. « Châlonvillars, c’est le faubourg de BELFORT » lance-t-il.

Le plan du Colonel CHAPPUIS doit tenir compte de la présence d’un redoutable fossé antichars large de 7 mètres et installé à 100 mètres au-delà du canal de la Haute-Saône. Le fossé barre le plateau depuis les pentes du Salbert jusqu’à Bavilliers.

Au groupe des commandos d’Afrique de BOUVET, il demande de franchir de nuit le canal de la Haute-Saône et de s’emparer du fort du Salbert. Avant de l’atteindre il lui faudra franchir une dizaine de km à travers les lignes ennemies.

En même temps la brigade de choc de GAMBIEZ sautera sur ESSERT, aménagera un passage sur le canal pour les blindés et comblera le fossé antichars de la route de Montbéliard ( N19 ) afin que les blindés puissent rentrer dans Belfort par Bavilliers.


 Prise du Salbert par les Commandos du colonel BOUVET

Colonel Bouvet

Dès la soirée du 19 novembre, le colonel CHAPPUIS donne l’ordre au colonel BOUVET d’attaquer la nuit même le Salbert.

A 23h, une première patrouille comprenant 5 volontaires (dont l’aspirant KAMMERLOCHER originaire de Belfort) commandée par le capitaine MOLLAT, est envoyée en reconnaissance. Elle repère en particulier une passerelle de fortune en bois vermoulu pour franchir le canal de la Haute-Saône.

A 1h30, par une nuit noire, 1200 hommes, sous le commandement de BOUVET, descendent de Châlonvillars et franchissent le canal sur cette passerelle puis montent silencieusement en direction du Salbert. L’adjudant ROCCA et deux Marocains, des spécialistes, les ont précédés pour sécuriser le passage. Deux sentinelles allemandes sont poignardées. En tête de la longue colonne le groupe DUCOURNEAU porte les échelles nécessaires à l’assaut du fort. Des tirs d’artillerie sur les flancs de la colonne sécurisent la progression. Mais à plusieurs reprises on frôle les patrouilles allemandes. Les hommes sont exténués, la colonne risque de se disloquer. Les chefs de section sont aux aguets.

Croquis de l’attaque du Salbert par le Colonel BOUVET

A 6h30, ce matin du 20 novembre, les hommes de DUCOURNEAU sautent dans les fossés du fort, posent leurs échelles contre les murailles et prennent pied dans le fort. Celui-ci est vide … Seule la femme du gardien est là pour informer que les Allemands se sont repliés plus bas sur une ligne de défense dans le petit Salbert. Les archives de la Wehrmacht révèlent qu’une unité était prévue pour la relève mais elle n’est jamais arrivée.

Pour BOUVET et ses hommes le succès est total. L’infiltration de 1200 hommes des Commandos qui ont parcouru dix kilomètres à travers les lignes allemandes pour occuper un point stratégique sans aucune perte est remarquable.

BOUVET donne ses ordres. La première partie de la mission des Commandos est remplie. Après le groupe des Africains, c’est maintenant aux Provence de COURSON de jouer. Ceux-ci ont ordre de descendre à l’est sur Valdoie et de s’emparer de ce faubourg en veillant au maintien du pont sur la Savoureuse au milieu de l’agglomération. BOUVET a l’intention de rester ici avec le groupe Afrique.

Témoignage de l’aspirant DELVIGNE, le 1er à Cravanche

Aspirant Delvigne

« Depuis le sommet du Salbert l’aube se lève, le temps est maussade. Je m’adresse à mon Capitaine, Paul METIVIER commandant le 2ème Commando :

Regardez à nos pieds, Belfort, un des noms les plus prestigieux de notre histoire militaire

Je vous demande de m’autoriser à faire une reconnaissance.

METIVIER trouve l’idée intéressante mais saugrenue. Il sollicite cependant BOUVET qui refuse d’abord, car la mission était de s’emparer du Salbert et de le tenir en attendant l’ordre de descendre sur Belfort lorsque les blindés franchiront le canal.

Finalement, la tentation étant contagieuse, BOUVET donne son accord.

METIVIER revient vers moi et me dit :

Vas-y ! Je te suis mais bien entendu tu es le patron.

Les 27 hommes de ma section plus le Capitaine en serre-file dévalons les pentes par les raccourcis »

Premiers contacts avec Cravanche

« A 7h30 nous atteignons les premières maisons de Cravanche. Au bas de la longue rue nous rencontrons une patrouille allemande. Premier accrochage. Les blessés parmi lesquels le sergent BIANCARDINI, sont transportés dans une salle d’école. Les premiers soins leur seront donnés par Mme CANAL. Le jeune lieutenant qui commande la patrouille allemande, agonise. Il demande la présence d’un prêtre »

« A 8h je franchis le panneau Belfort devant le sergent Robert MAZET. METIVIER qui nous a rejoints informe par radio BOUVET : Ici Napoléon ! Je viens de dépasser la pancarte Belfort et demande le reste de mon commando. BOUVET répercutera à son tour à de LATTRE : Salbert occupé. Patrouille dans Belfort. Envoyez-moi les blindés »

« Dans les rues de Cravanche la population a commencé à sortir des caves et à nous apporter à boire. Tandis que nous nous interrogeons sur la conduite à tenir un homme vient à nous et se présente, Richard de la HARPE, Ingénieur à l’Alsthom. Il me propose de me guider dans la vaste usine encore partiellement occupée et de me conduire à l’autre extrémité, au dernier étage d’un bâtiment d’où je pourrai observer les mouvements de l’ennemi. METIVIER donne son accord »


Contre-offensive allemande

METIVIER pousse une de ses sections dans la partie nord de Belfort.

Mais vers 11h un bataillon allemand et quelques automoteurs traquent cette poignée d’hommes et la forcent à regagner Cravanche où un point d’appui est rapidement organisé.

Les rues de Cravanche se vident. Reprenons le récit de Jean DELVIGNE.

« METIVIER m’apprend que BOUVET était descendu à Cravanche pour attendre les blindés. Mais ceux-ci n’ont pas encore réussi à percer les lignes allemandes. BOUVET a dû se résigner à remonter au Salbert avec le gros de la troupe en ne laissant à METIVIER que la section de RASCOUAILES.

Je m’installe avec ma section au carrefour de l’Alsthom. La section de RASCOUAILLES est déjà déployée sur la ligne de chemin de fer. La mienne au carrefour de l’Alsthom est prête à former un rempart à Cravanche avec RASCOUAILLES. Pour l’heure, il tient magnifiquement face à un bataillon appuyé par un automoteur. Deux Marocains de sa section, Bouchaïd Ben ABDESLEM et Lahoucine Ben BOUDJENAA, sont les premiers tués à Belfort »

Le nombre des blessés s’accroît. Ils sont soignés par le médecin Joseph BAILLARIN et Mme CANAL qui a refusé de les abandonner.

« Nous allions succomber quand vers 15h, surgit une section du 1er Bataillon de choc. Son chef est l’aspirant Raymond MUELLE. Il s’avance vers moi. L’état d’épuisement dans lequel se trouvaient la section RASCOUAILLE et la mienne ne lui laisse aucun doute sur l’à propos de ma réplique : Tu es le bienvenu »

L’attente des chars

A proximité de Belfort un char français a sauté sur une mine.

Initialement les chars devaient entrer dans Belfort par la N19, après avoir comblé le fossé antichars. Pour cela un bulldozer devait être amené sur les lieux en empruntant un passage existant sous le canal de la Haute-Saône que les Chocs avaient découvert près d’Essert.

Mais il manquait cinq centimètres à la largeur du tunnel. Par contre les chars moins larges que le bulldozer pouvaient passer et continuer par Cravanche.

CHAPPUIS modifie son plan en conséquence

Il lance sur Cravanche le 2ème Escadron du 6ème RCA (Régiment de Chasseurs d’Afrique) avec à sa tête le capitaine BES de BERC. Le 6e RCA commandé par le colonel RENAUDEAU d’ARC, est attaché à la 5ème DB. Le 2éme Escadron ne dispose plus que de 14 chars. Quatre d’entre eux ont été mis hors de combat récemment à Champey et un seul remplacé.

Les hommes d’une compagnie du Bataillon de Choc, commandée par le capitaine CHARBONNIER, prennent place sur les chars. La colonne part de Châlonvillars.

La RN19 vers Cravanche est coupée par un fossé antichars que les blindés réussissent à contourner par la droite. L’escadron ne dispose pas de détecteurs de mines et il fait l’impasse par chance sans encombre. A 15h a colonne débouche sur Cravanche.

DELVIGNE témoigne :

« Maintenant nous entendons approcher les engins blindés du 6ème RCA. Un quart d’heure après ils arrivent à Cravanche et se dirigent vers le pont de chemin de fer.

A leur vue les assaillants de RASCOUAILLES se replient ».


Voie ouverte sur Belfort

Lieutenant-colonel GAMBIEZ, commandant du bataillon de choc.

La colonne franchit le passage à niveau en forçant une palissade qui barre le chemin.

Les deux premiers Sherman s’engagent vers 16h, dans l’avenue Jean-Jaurès.

Pendant ce temps les commandos nettoient le quartier de l’Alsthom.

La voie pour la libération de Belfort est ouverte …

Entrée dans Belfort le matin du 20 novembre