L’immigration italienne

Histoire de l’immigration italienne à Cravanche dans les années 1910.
Les parents italiens de JBG se connurent à Cravanche, photographiés en 1920, à l’époque de leur mariage.

JBG est né à Cravanche en 1922. Son père, maçon dans la province italienne de BERGAME a été approché en 1907 par un réseau de recruteurs pour travailler en Allemagne, à Kaiserslautern plus exactement. Mais l’attrait de la France, les « on dit » sur la qualité de vie, font qu’il ne reste qu’une année en Allemagne.

En 1908, il quitte clandestinement l’Allemagne pour la France, avec d’autres collègues. Ils voyagent de nuit et aboutissent finalement à Cravanche. Mais là on déchante, les conditions à l’arrivée sont médiocres. La “Grande Brasserie” qui occupe alors l’espace actuel de la place de La Cravanchoise sert de centre d’accueil. Il faut se débrouiller par ses propres moyens et utiliser l’entraide de proximité.

Les bâtiments de la “Grande Brasserie” dont l’activité avait cessé, servent de logements provisoires pour les Italiens jusqu’en 1928, bien que la grosse cuve en cuivre du rez-de-chaussée n’ait pas été déménagée mais on se contente des espaces existants.

A côté de la Brasserie, était implanté un hangar dans lequel on séchait le houblon, à l’emplacement actuel de la maison de Gilles DAL SANTO, au n°6 de la rue Aristide Briand. Le père de Monsieur DAL SANTO avait également intégré Cravanche vers les années 1910.

Sous ce hangar, se trouvaient de grandes caves destinées au stockage de la glace et à l’entrepôt de la bière. A l’intérieur d’une des caves encore existantes, on captait une source d’eau fort utile. Les autres caves voûtées furent remblayées et les belles pierres récupérées. Quant à la “Petite Brasserie”, elle abritait les bureaux. Les bâtiments existent toujours, ils ont été restaurés par les propriétaires actuels, Jean-Claude et Michèle GUSTIN.

Tous les espaces et les dépendances de la Grande Brasserie de Cravanche furent à l’époque investis par les Immigrés italiens qui étaient là, le plus souvent, avec leur famille entière.

Lorsque la guerre éclata en 1914, les Italiens installés en zones frontalières furent évacués à l’intérieur de la France. Ceux de Cravanche se rendirent tout d’abord à Vesoul. Le déplacement se fit à pied, en convoi. De là ils se dispersèrent dans plusieurs régions, en particulier à Alès et Carmaux, pays minier. Ce fut le cas de la future maman de JBG.

En 1918, elle réintégra Cravanche avec sa famille, pour travailler aux Filatures et Tissages KOECHLIN. Elle se maria vers 1920 et le couple s’installa au 2ème étage de la maison MOUHOT, en face de l’actuelle école de Cravanche. C’est là qu’est né JBG. Le papa travaillait dans une entreprise de maçonnerie et l’ouvrage ne manquait pas.

La plupart des Immigrés italiens durent attendre 1924, début de la construction des maisons des cités KOECHLIN, pour être logés correctement. Pratiquement tous à cette époque, travaillaient chez KOECHLIN, alors que les Cravanchois de souche étaient plutôt à la « SOCE » c’est à dire à la SACEM.

Mais donnons maintenant la parole à JBG.

« Mes premiers souvenirs de Cravanche sont l’odeur du café que grillait notre voisin, Monsieur PANGON, et la curiosité que je manifestais pour les écuries situées à l’arrière et en contrebas de la maison où nous habitions. Tous mes souvenirs d’adolescent et de jeune homme sont à Cravanche que je n’ai quitté qu’en 1957, pour entrer dans une maison construite de mes mains à Essert avec l’aide de la fameuse association de l’époque “les Castors”. Le chantier réalisé avec des moyens financiers limités, a duré plus de trois ans. A cette époque la pénurie de logement donnait à certains une volonté farouche pour construire.

Jusqu’en 1948, j’ai exercé la profession de peintre. Puis je suis entré à l’ALSTHOM où j’ai terminé ma carrière en 1982 comme responsable aux traitements de surface de la Division Electro-Mécanique, la DEM.

Mon cœur est resté à Cravanche. C’est là que sont tous mes souvenirs de jeunesse. Les souvenirs d’un jeune qui a appris à ses parents italiens à parler le français, et qui les a décidés à rester définitivement à Cravanche, un jeune qui s’est senti intégré totalement dans la vie du village.

Enfants, nous étions proches de la nature, le Mont Salbert était notre royaume car il nous offrait une foule de plaisirs : cueillettes des fraises des bois, des feuilles de frênes pour en faire une sorte de limonade, puis l’époque des brimbelles, des mûres, des framboises, en automne, la récupération des souches pour faire des briquettes ou tout simplement la récupération du bois mort pour le chauffage. On jouait “à l’épée” sur la place de la Poudrière (au départ du parcours Vita actuel). Là, ponctuellement, de jeunes malheureux habitaient dans les ruines et les abris des anciens ouvrages militaires. On allait à la maraude avec un plaisir certain, dans les vergers du village. D’ailleurs je me suis fâcheusement blessé en descendant précipitamment d’un arbre, et j’en garde encore la cicatrice.

En 1930, on admirait les premières voitures dans le village, en particulier celles de Monsieur PANGON, de Monsieur BOICHAT qui faisait taxi, de Madame BISCHOFF qui tenait le Café des Grottes. Mais, pour certaines familles il y avait aussi une précarité de vie touchante. Je me souviens par exemple d’une femme, qui élevait seule une famille nombreuse. L’aîné quittait l’école vers 10h30 le matin pour partir au “rata” auprès des militaires du 188ème qui occupait le fort des Barres. Il ramenait les restes pour nourrir la famille et cela sans se plaindre. D’une façon générale, nous savions nous amuser intensément et simplement, mais nous savions aussi nous rendre utiles en y prenant beaucoup de plaisir. La vie était chaleureuse.

J’ai participé à la construction de la Cravanchoise avec l’équipe des pionniers. Ce fut une belle histoire. Je garde de grands souvenirs des rencontres entre Anciens, dans cette Cravanchoise, en particulier pour le repas de fin d’année où tous, nous nous retrouvions.»

L’heure tourne, il est 18 H 30. Notre hôte est seul pour préparer son dîner. Depuis 25 ans il a perdu son épouse. Ses cinq enfants ont chacun leur vie. Il se débrouille seul dans cette maison confortable qui est entretenue remarquablement. Son jardin qu’il nous fait visiter avant notre départ, fait notre admiration.

Merci cher Monsieur! Votre accueil, votre gentillesse, le plaisir que vous avez pris à nous raconter vos souvenirs nous ont touchés. A bientôt !

Entretiens avec JBG en octobre 2001, rapportés par Michèle GUSTIN et Paul LUGAND.